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AFRIQUE

Sénégal/Trafic de drogue dans la Police : Il y avait eu un précédent en 2000


Alwihda Info | Par Malick BA - 23 Août 2013



Des policiers sénégalais. Photo: AP Photo / Rukmini Callimachi
Des policiers sénégalais. Photo: AP Photo / Rukmini Callimachi
L’article que nous reproduisons ci-dessous a été publié dans une de nos éditions « Le Temoin » du mois d’avril 2000, juste au lendemain de l’accession au pouvoir du président Abdoulaye Wade et alors que le général Mamadou Niang venait de succéder au général Lamine Cissé au ministère de l’Intérieur. Si nous avons tenu à le reproduire c’est pour montrer, au moment où des accusations de trafic de drogue sont portées contre d’éminents responsables de la Police, que ce n’est pas la première fois que ce corps est secoué par un scandale de cette nature. A l’époque, au moment des faits dont il est question dans l’article que nous reproduisons, le Directeur général de la Sûreté nationale, c’était M. Abdou Karim Camara, un administrateur civil de classe exceptionnelle. Et le patron de l’OCTRIS (Office central de lutte contre le trafic illicite de stupéfiants), c’était un certain… commissaire Abdoulaye Niang. C’est lui-même qui, succédant au commissaire Moustapha Wade à la tête de l’OCRTIS, avait été chargé de brûler vite fait les 30 kilos de cocaïne — d’une valeur de 3 milliards de francs ! — qui venaient d’être saisis par le même service. Ce qu’il avait fait en incinérant la drogue… dans les cuisines de l’Ecole nationale de Police ! Et ce alors qu’une telle opération se fait d’habitude en plein air, près de la mer (généralement aux Mamelles) et devant des témoins dont des journalistes. A l’époque, tout le monde s’était demandé pourquoi cette incinération s’était faite en catimini.

Lorsque nous avions révélé ce scandale, par le biais de notre collaborateur Malick Bâ qui disposait de très bonnes sources à la Police comme partout ailleurs, on était, on l’a dit, en pleine Alternance. Un pouvoir vieux de 40 ans venait d’être défait et un nouveau régime était en train de s’installer. Un nouveau régime qui avait d’autres chats à fouetter et qui venait juste de découvrir les délices du pouvoir. Un régime, aussi, préoccupé à chasser les dignitaires du Parti Socialiste accusés de détournement de deniers publics et parmi lesquels certains ont été emprisonnés. Bref, on aura compris que ce pouvoir avait d’autres priorités que de s’intéresser à des accusations de trafic de drogue portées contre des autorités de la Police. Est-ce que tous les 30 kilogrammes de cocaïne saisis par l’Ocrtis alors dirigé par le commissaire Moustapha Wade avaient été incinérés ? Il est permis d’en douter surtout qu’une quantité aussi importante ne se brûle pas sans dommages dans la cuisine d’un établissement, fût-ce une Ecole nationale de Police… Après la parution de notre article, j’avais été reçu par Abdou Karim Camara, directeur général de la Sûreté nationale au moment des faits et qui était sur le départ pour cause de changement de régime. Il avait juré ses grands dieux n’avoir rien à se reprocher et confirmé avoir effectivement demandé de brûler la drogue. Le reste, il l’avait mis sur le compte de policiers désirant avoir sa peau, nous confiant que ces derniers n’ont jamais accepté le fait d’avoir un administrateur civil à leur tête. De fait, ils auraient passé leur temps à lui glisser des peaux de banane sous les pieds et à comploter contre lui. Ce jour-là, c’est juste si le brave Abdou Karim Camara n’avait pas pleuré à chaudes larmes tellement il semblait sérieusement affecté par les insinuations faisant croire qu’il aurait fait substituer la drogue devant être brûlée par de la farine… Une chose est sûre : si les ordres venaient de lui, l’exécution, c’est-à-dire l’incinération de la drogue, revenait au commissaire Abdoulaye Wade, nouvellement promu à la tête de l’Ocrtis. Avait-il brûlé toute la drogue à l’époque ? Nul ne peut répondre à cette question. Toujours est-il que les accusations portées contre le commissaire Abdoulaye Niang aujourd’hui par le commissaire Cheikhna Keïta ont pour effet de rappeler cette vieille affaire dans laquelle il avait joué un rôle.

Dès le lendemain de la publication par nos confrères du « Quotidien » de la lettre envoyée par le commissaire Cheikhna Keïta au ministre de l’Intérieur pour accuser son prédécesseur à la tête de l’Octris, le commissaire Abdoulaye Niang, de trafic de drogue, nous avons pensé à cet article que nous avions publié à l’époque. Le seul problème, c’est que nous n’arrivions plus à retrouver les dates et, donc, le numéro dans lequel ce papier était sorti. De plus, nos archives étant incomplètes et mal tenues, cela revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin. Bref, ce n’est que lundi dernier que nous avons retrouvé le fameux papier que nous reproduisons dans ce numéro. Pour porter témoignage et apporter notre contribution au débat en cours…

Mamadou Oumar Ndiaye

Voir article ci-dessous publié en Avril 2000 :

L’affaire des 30 kilos de cocaïne d’une valeur de 3 milliards saisis par l’Ocrtis :
Le Directeur général de la Sûreté nationale donne l’ordre de brûler la « drogue » dans la cuisine même de l’Ecole de Police !


Vous vous souvenez sans doute de l’affaire des 30 kilogrammes de cocaïne de première qualité qui avaient été saisis à l’aéroport de Dakar Yoff. Cette affaire avait été en son temps très médiatisée si bien que les agents de l’Ocrtis avaient reçu les félicitations de l’ancien président Abdou Diouf. Ces trente kilogrammes de cocaïne dissimulés dans 90 plaquettes, se présentaient sous forme de briques couvertes de carbone pour échapper à la détection au rayon X et étaient placées depuis l’usine de fabrication dans le double-fond de 30 cartons contenant des biberons. La drogue dure d’une valeur de trois milliards cfa provenait du Venezuela et faisait l’objet d’une surveillance discrète depuis son embarquement dans ce pays latino-américain.

Mais comment les flics anti-drogue de l’Ocrtis ont-ils réussi à intercepter cette marchandise ?

La coke, nous l’avons dit, venait du Venezuela et a transité par la Belgique. La surveillance a pu se faire sur la base de renseignements fournis depuis le Royaume-Uni par un officier de liaison britannique basé au Maroc. La marchandise, convoyée jusqu’à Dakar par la société Dhl et mise dans des caisses pesant au total 390 kg, était destinée à un commerçant du marché Sandaga du nom de Moustapha Sall. Vérification faite par les enquêteurs au marché, il s’est trouvé que cet individu n’a ni cantine, ni échoppe mais que c’est une autre personne du nom de Babacar Diouf qui est propriétaire du numéro de la cantine et de la ligne téléphonique qui figurent sur l’adresse du destinataire. Moustapha Sall, le destinataire de ce colis de drogue, constatant que la marchandise tardait à venir, a pris la poudre d’escampette sans demander son reste. Depuis lors, d’ailleurs, il est activement recherché par les limiers de l’Ocrtis. Mais son frère Ousmane Sall et ses associés Babacar Diouf (propriétaire de la cantine dont le numéro se trouvait sur le colis), Pape Mbaye Sarr, Idrissa Dièye et Serigne Diouf ont été interpellés et déférés au parquet. Depuis lors, cette affaire est en instruction et se trouve entre les mains du doyen des juges Demba Kandji.
À travers cette prise, les agents de l’Ocrtis ont réussi le coup du siècle au Sénégal en matière de drogue. Ils ont, pour ce fait, reçu des lettres de félicitations de l’ancien président de la République, d’ambassadeurs accrédités à Dakar et de tous leurs collègues des autres corps de l’armée comme la Douane et la Gendarmerie. Mais là où réside le problème, c’est qu’en son temps, le directeur général de la Sûreté nationale, M. Abdou Karim Camara, n’avait pas voulu recevoir le chef de l’Ocrtis, le commissaire Moustapha Wade, et n’avait même pas daigné lui envoyer une lettre de félicitations. Pourquoi ? Une question à laquelle les agents de la brigade anti-stups n’arrivent jusqu’ici pas à trouver une réponse cohérente. Plus grave encore, depuis le départ du commissaire Moustapha Wade en mission en Sierra Léone pour le compte des Nations Unies, les 30 kg de cocaïne avaient disparu. Et c’est seulement le vendredi 31 mars dernier que le directeur général de la Sûreté nationale a insisté et a donné l’ordre pour l’incinération de la drogue avant le début des formalités de passation de service entre l’ancien et le nouveau ministres de l’Intérieur, les généraux Lamine Cissé et Mamadou Niang. Et ce sans l’autorisation du juge qui supervise l’enquête. Et pour obéir aux ordres de son supérieur, l’actuel chef de l’Ocrtis, le commissaire Abdoulaye Niang a procédé à l’incinération ce jour-là dans la cuisine même de l’Ecole nationale de Police dont le directeur n’a été averti que 10 minutes avant l’opération qui s’est déroulée en présence de deux fonctionnaires dont nous préférons taire les noms. Au niveau de l’Ocrtis, on dénonce bien évidemment ce procédé cavalier, à la limite de la légalité. Comme nous l’a confié un policier de ce service qui a requis l’anonymat, « ce que le directeur général de la Sûreté nationale a fait est grave. D’habitude l’incinération de la drogue se fait publiquement, près de la mer, et se passe au mois de juillet devant les journalistes et des magistrats. Comment donc peut-on incinérer cette drogue constituant un corps de délit d’une affaire qui est en instruction auprès du doyen des juges ? Je me demande pourquoi cette précipitation du directeur Abdou Karim Camara ? D’ailleurs, certains de nos collègues qui ont vu la drogue qu’on devait incinérer attestent que ce qui a été brûlé ne dépassait même pas 15 kilos. Et encore, on peut se demander si ce qu’on a incinéré, ce n’était pas de la bicarbonate ou de la farine, en lieu et place de la cocaïne ».

Une chose est sûre : on susurre, dans les milieux de la drogue, qu’une bonne partie de la drogue provenant de cette saisie « vénézuélienne », circulerait actuellement en ville et se vendrait à prix d’or.

Plus grave, estiment les experts, des tests auraient dû être effectués et la drogue pesée avant l’incinération. Le juge Demba Kandji est-il au courant de cette incinération ? Alors que l’affaire est en instruction et n’a pas été jugée, doit-on détruire le corps du délit ? Ce qui a été détruit le 31 mars dernier, est-ce la vraie drogue provenant de la saisie ? Autant de questions qui méritent des réponses concrètes.

Une chose est sûre : la loi n° 18/97 du 11 novembre 1997 portant code des drogues, est très claire en son article 148 sur la remise ou destruction des substances saisies : « sauf dans les cas où la conservation des plantes et des substances saisies est absolument indispensable à la procédure, l’autorité compétente ordonne dans un bref délai après la saisie et le prélèvement d’échantillon (…) la destruction complète qui doit être effectuée immédiatement suivant les moyens appropriés par le comité interministériel de lutte contre la drogue. Les remises et destructions sont constatées par un procès-verbal qui indique avec précision les scellés qui sont remis ou détruits, les étiquettes des scellés ou les mentions portées sur leurs emballages sont annexées au Pv qui est signé du Président du comité interministériel de lutte contre la drogue et toutes les personnes qui ont participé à la remise ou à la destruction ». A notre avis, tout cela n’a pas été fait par le directeur général de la Sûreté nationale, Abdou Karim Camara. Rappelons que ce dernier, après avoir été préfet de Dakar, gouverneur de la région de Diourbel, de Thiès, avait été nommé à ce poste de directeur général de la Sûreté nationale au lendemain des élections de 1996. Une affaire à suivre.

Par Malick BA
« Le Témoin » N° 1135 –Hebdomadaire Sénégalais ( AOUT 2013)



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